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Carlos Ghosn ou la faillite de la gouvernance à la française
Publié le 25 novembre 2018 à 14h37 - Mis à jour le 10 janvier 2020 à 9h26
Carlos Ghosn était au sommet. Sa chute est vertigineuse. Aidée par les responsables de Nissan, la justice japonaise dévoile les dérives de l’ex-dirigeant de Renault-Nissan. Alors que les signaux d’alerte étaient nombreux, le conseil d’administration de Renault n’a rien fait, selon Médiapart.
Article paru sur le site de Mediapart, le 24 novembre 2018 par Martine Orange
Carlos Ghosn était au sommet. Quatre jours après son arrestation à Tokyo, il n’est plus rien. Aidée par les responsables de Nissan, très empressés à reprendre le pouvoir, la justice japonaise met peu à peu en lumière les graves dérives de l’ancien dirigeant de Renault-Nissan. Alors que les signaux d’alerte étaient nombreux depuis très longtemps, le conseil d’administration n’a rien fait pour arrêter le dirigeant. Ce silence complice risque de coûter très cher à Renault.
Il était au sommet. Il n’est plus rien. Quatre jours après avoir été arrêté sur le tarmac de l’aéroport de Tokyo, Carlos Ghosn a été rayé de chez Nissan. Un conseil du groupe automobile japonais, réuni dans l’urgence jeudi 22 novembre, a décidé à l’unanimité de démettre son président de toutes ses fonctions. Son bras droit, l’américain Greg Kelly, lui aussi arrêté, a été également démis de toutes ses fonctions au sein de Nissan. Le groupe est désormais placé sous la seule responsabilité de Hiroto Saikawa, jusqu’alors numéro deux de Nissan.
Le choc est à la mesure du symbole. Carlos Ghosn était l’icône du capitalisme mondialisé. Intouchable, semblait-il. Le monde des affaires français en est comme frappé de stupeur : rien de ce qui se jouait chez Nissan n’avait filtré. Personne n’avait capté le moindre signal d’alerte, ni le groupe, ni le gouvernement. Le matin même de l’arrestation de Carlos Ghosn, Louis Schweitzer – président honoraire de Renault qui a sauvé Nissan de la faillite et installé Carlos Ghosn comme son successeur –, était à Tokyo aux côtés du numéro deux de Nissan pour célébrer les relations franco-japonaises.
Pour tous, la chute du patron de Renault a été inattendue. « Si injuste », ajoute Thierry Breton, PDG d’Atos et membre du conseil d’administration de Renault, en insistant sur le fait que « Carlos Ghosn est un très grand patron » qui a réussi à bâtir le premier groupe automobile mondial. Comme si cela excusait tout le reste.
Les révélations qui filtrent au fur et à mesure dans la presse japonais ne laissent pourtant guère de doute sur les fautes de Carlos Ghosn. Depuis 2000, l’ex-patron de Renault-Nissan s’est considéré comme un roi de droit divin, vivant au-delà de toutes les règles et de toutes les lois, cultivant une hybris et une cupidité hors de toute mesure. « Citoyen du monde », comme il se présentait, il pensait n’avoir plus de comptes à rendre à personne.
« Une fois encore, un dirigeant français est coupable de graves dérives. Une fois encore, c’est par l’étranger que les informations nous arrivent. Depuis les années 2000, tous les chercheurs, les journalistes tirent la sonnette d’alarme sur les comportements des dirigeants. Tous les signaux étaient au rouge chez Renault. Et il ne s’est rien passé. C’est la faillite de la gouvernance à la française », s’énerve Jean-Philippe Denis, professeur de sciences de la gestion et de management à l’université Paris Sud-Saclay. Une faillite qui pourrait coûter cher à Renault, qui pourrait nous coûter Renault.
La révolution de palais de Nissan
Les confidences qui filtrent depuis quelques jours dans la presse – lire ici ou là – ne laissent aucun doute sur le sujet : Carlos Ghosn était en train de préparer, dans le plus grand secret, une fusion entre Renault et Nissan, afin de passer l’étape ultime après 19 ans d’alliance entre les deux constructeurs automobiles. Et c’est cela, assurément, qui a précipité sa chute.
Cela fait des années que le constructeur automobile Nissan, numéro deux au Japon, se plaint des relations déséquilibrées avec Renault, qui le contrôle à 43 %, alors que lui n’a que 15 % sans droit de vote dans le capital du constructeur français. L’époque où Renault l’avait sauvé de la faillite à la fin des années 1990 est révolue, ne cessaient d’insister les cadres japonais. Aujourd’hui, Nissan pèse plus que Renault (5,6 millions de voitures vendues contre 3,8 millions) et lui assure de substantiels bénéfices. Pourtant, cette situation ne s’est jamais traduite dans l’évolution du pouvoir : Carlos Ghosn avait un mandat de cinq ans à son arrivée chez Nissan. Il y sera resté plus de 20 ans. Il a continué de concentrer tous les pouvoirs, tant chez Renault que chez Nissan, et depuis 2016 chez Mitsubishi, passé sous contrôle de Nissan.
Toutes les tentatives pour élargir le pouvoir, pour partager les décisions ont été écartées. Pendant des années, Carlos Ghosn a éliminé tous les prétendants qui pouvaient lui faire de l’ombre, chassé tous ceux qui pourraient contester ses décisions, voire émettre d’autres opinions que les siennes. Les quelques demandes pour mettre un peu de transparence dans la conduite des plus opaques de Nissan ont toutes été balayées de la main.
Pour s’en tenir au formalisme de la « bonne gouvernance » des grands groupes mondiaux, Nissan n’a pas de comité d’audit, de rémunération. Et ce n’est que ces derniers mois que le groupe a accueilli deux administrateurs indépendants, sélectionnés selon les bonnes habitudes du capitalisme de connivence : il s’agit d’un ancien fonctionnaire et d’un ancien coureur automobile. Deux personnalités susceptibles d’avoir de grandes vues sur l’avenir de l’automobile et de poser les bonnes questions à Carlos Ghosn.
Lors de sa conférence de presse annonçant l’arrestation de Carlos Ghosn, le numéro deux de Nissan a eu des mots très durs sur le comportement du dirigeant français, sur le climat de terreur qu’il faisait régner dans le groupe. Un alibi pour justifier son coup d’État, pour ne pas apparaître comme le Brutus ayant tué César, ainsi que le disent plusieurs observateurs ? Sans aucun doute.
Mais d’autres témoignages, ressemblant étonnamment à ceux des salariés de Renault travaillant au technocentre de Guyancourt, rapportent le même climat de peur, de paranoïa, de suspicion, de défiance généralisée. « Le temps où les gens pouvaient parler librement ou mettre au défi d’autres départements a disparu chez Nissan », confie au Financial Times un banquier japonais qui a travaillé pour le groupe automobile.
Rien d’étonnant à ce que les responsables japonais de Nissan se soient inquiétés de la perspective d’une fusion avec Renault. L’opacité qui entoure l’alliance Renault-Nissan, logée dans une structure aux Pays-Bas dont seuls Carlos Ghosn et quelques affidés avaient les clés, est de nature à nourrir toutes les appréhensions.
D’autant que, par le passé, le dirigeant a veillé soigneusement à exclure de tous ses projets toutes les parties prenantes, que ce soit les États, les actionnaires ou les salariés, considérés comme quantité négligeable : l’entreprise, dans la philosophie de Ghosn, ne se résume qu’à la volonté de son dirigeant. Ainsi, en 2009, l’Élysée avait dû intervenir au dernier moment pour éviter que l’État ne perde le contrôle de Renault : Carlos Ghosn, qui a toujours considéré que l’État actionnaire n’avait pas sa place dans le constructeur automobile, par une de ses manœuvres dont il avait le secret, était en train de l’évincer.
Les responsables de Nissan redoutaient-ils que le constructeur japonais ne connaisse le même traitement ? Les rares propos des dirigeants de Nissan laissent entendre cette crainte. Depuis plusieurs mois, rapporte la presse japonaise, le numéro deux du constructeur automobile, Hiroto Saikawa, avait repris un contact étroit avec le METI, le ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie. Le risque de perdre le contrôle ou l’emprise sur le deuxième constructeur automobile, qui fait vivre des milliers de sous-traitants japonais, ne pouvait être vu que comme une menace par ce ministère traditionnellement très dirigiste, dans un pays qui, à la différence de la France, a une stratégie industrielle à long terme.
Le seul fait que Carlos Ghosn ait pu penser qu’il pouvait une nouvelle fois réaliser en douce une telle opération de rapprochement entre Renault et Nissan montre le décalage du dirigeant. En dépit de ce qu’il déclarait, il n’a pas compris la culture de ce pays. Et surtout, il n’a pas mesuré à quel point l’environnement politique avait changé autour de lui. Il y a quelques années, le METI et le gouvernement japonais auraient peut-être hésité à prêter main-forte à l’état-major de Nissan et à intervenir d’une façon aussi brutale, au mépris de toutes les règles actionnariales, pour défendre ce qu’ils considèrent comme des intérêts stratégiques du pays – un concept totalement étranger à un dirigeant de la trempe du patron de Renault.
Désormais, les autorités japonaises ne sentent plus obligées de prendre des gants. Alors que Donald Trump agite le spectre de la guerre commerciale, le protectionnisme revient en force dans tous les pays. Le Japon, qui, par tradition, pratique une économie fermée et dirigiste, et s’appuie sur un capitalisme de connivence, n’est pas le dernier à avoir entendu ces sirènes. Les Japonais se sentent fondés à dire qu’ils ont des intérêts et entendent les défendre. Ils auraient pu le faire de façon politique mais cela aurait été compliqué. Ils ont préféré faire tomber Carlos Ghosn dans un piège qui le délégitimerait à jamais et qu’il s’était à lui-même tendu : l’argent.
« Parce qu’il le vaut bien » ou la cupidité sans frein
Depuis combien d’années les rémunérations de Carlos Ghosn font-elles polémique ? Douze ans au moins. Dès 2006, le salaire du dirigeant de Renault se classait parmi les plus élevés en France. En 2010, lorsque la législation obligea à publier les rémunérations des dirigeants au Japon, on découvrit qu’outre les 5 millions d’euros touchés chez Renault, Carlos Ghosn gagnait plus de 7 millions d’euros chez Nissan. Le dirigeant explosait tous les compteurs.
Depuis, la rémunération de Carlos Ghosn n’a cessé d’augmenter. En 2014, malgré des résultats décevants, le dirigeant de Renault fut augmenté de 169 %. En 2016, en dépit du refus des actionnaires, le conseil d’administration du constructeur français accepta d’augmenter sa rémunération pour la porter à 7,2 millions d’euros. À cela s’ajoutaient les 8 millions d’euros versés par Nissan. À partir de l’année suivante, Carlos Ghosn ajouta encore 2 millions d’euros de rémunération au titre de sa présidence de Mitsubishi. Face aux critiques suscitées par ces rémunérations démentielles, les dirigeants français et ses thuriféraires firent corps pour défendre un système en pleine dérive, où les patrons français s’appliquent à figurer parmi les meilleurs élèves de la classe : les critiques n’avaient rien compris. Carlos Ghosn le « valait bien ». Il était un patron de classe mondiale. Il était en train de bâtir le premier un groupe automobile mondial. La création d’un tel « champion mondial » justifiait bien une telle récompense.
Mais que dire alors du patron de Toyota ? Il ne dirige pas un groupe mondial ? En 2018, il était pourtant payé trois fois moins que Carlos Ghosn chez Nissan. Car, à l’inverse des autres pays développés, le Japon continue de respecter une échelle des salaires, considérant que la cohésion de tous dans l’entreprise, dans l’intérêt collectif, l’emporte sur le bénéfice individuel. Encore un aspect qui a échappé à Carlos Ghosn, pourtant considéré comme un fin connaisseur de la culture nippone !
Il a préféré s’inscrire dans la grande tradition du capitalisme financier en sous-estimant ses déclarations d’impôt. Selon les premières déclarations du procureur japonais, Carlos Ghosn aurait caché au fisc japonais la moitié environ de ses revenus au cours des cinq dernières années, ce qui représenterait quelque 5 milliards de yens (37 millions d’euros). Depuis, la presse japonaise donne de nouvelles précisions : la dissimulation ne serait pas de 5 milliards de yens mais de 10 milliards (60 millions d’euros), liés aux plus-values sur la vente de ses stock options.
Même ses plus ardents défenseurs peinent à trouver les mots pour le défendre, préférant se réfugier derrière la commode « présomption d’innocence ». Ce qui commence à fuiter de chez Nissan et des bureaux du procureur japonais, cependant, fait froid dans le dos. Où s’arrête la cupidité de nos grands dirigeants d’entreprise ?
Car en dépit de ses quelque 15 millions d’euros de rémunérations, Carlos Ghosn semble avoir mis en place tout un système de détournement chez Nissan pour financer son train de vie fastueux. Il aurait ainsi fait verser un salaire de 9 000 euros mensuels pour un travail fictif à sa sœur, installée au Brésil. Il se serait fait payer des appartements à Paris, à Amsterdam, à New York mais aussi à Rio de Janeiro et à Beyrouth. Les achats d’appartements dans ces deux dernières villes – en dehors de toute justification professionnelle, hormis qu’il y a des attaches familiales – se seraient élevés, selon le quotidien japonais financier Nikkei, à plus de 2 milliards de yens, environ 16 millions d’euros. Ils auraient été réalisés de façon totalement opaque, au travers de deux structures discrètes, l’une logée aux Pays-Bas, Zi-A capital, l’autre dans les îles Vierges britanniques, qui détiendrait les propriétés en direct. Manifestement, il n’y a pas que les footballeurs qui apprécient les paradis fiscaux pour cacher leur fortune.
Aujourd’hui, Nissan dit que tous ces détournements se seraient passés en-dehors de son contrôle, que tout a été organisé et supervisé par le bras droit de Carlos Ghosn, Greg Kelly. Personne n’y croit. « Bien évidemment que les dirigeants de Nissan étaient au courant. Ils ont accumulé les preuves et ont sorti le dossier quand cela les arrangeait », dit un proche du dossier. Ce que confirme de façon anonyme un connaisseur de Nissan. Le groupe connaissait les dépenses somptuaires de Carlos Ghosn, payait ses déplacements en avion privé, ses résidences. Le constructeur japonais a accepté de fermer les yeux, explique-t-il, parce qu’il considérait que Carlos Ghosn était indispensable. Maintenant il ne l’est plus.
La faillite des administrateurs de Renault
Pour le conseil d’administration de Renault, la réponse est encore plus simple : les administrateurs n’ont rien voulu voir, entendre, ou dire depuis des années. Les alertes, pourtant, n’ont pas manqué. Il y a eu les suicides au technocentre de Guyancourt, les manœuvres pour délocaliser les centres de décision de Renault hors de France et surtout l’affaire du faux espionnage industriel, révélant les mensonges du président du groupe, sa paranoïa et ses tentatives de déstabilisation. À chaque fois, le conseil d’administration a décidé de tout couvrir, de tout avaliser. Il a même accepté d’aller contre le vote des actionnaires qui avaient refusé la rémunération de Carlos Ghosn, au motif que ce n’était pas « aux actionnaires de décider de la rémunération de son président ».
La seule soirée de mariage digne du Roi-Soleil au château de Versailles aurait dû mettre la puce à l’oreille du conseil : tout prouvait que Carlos Ghosn avait perdu le contact avec la réalité. Les administrateurs ont préféré célébrer ce qu’ils considéraient comme la juste récompense du succès.
« C’est l’illustration même des conseils d’administration français. Tout le monde se cache derrière les soi-disantes règles de conformité et de gouvernance, les comités ad hoc, les administrateurs indépendants. Personne n’ose poser des questions », s’énerve un ancien dirigeant habitué des conseils du CAC 40. « Cela semble être dans les gènes de la gouvernance à la française. C’est l’omerta de la caste. Pourtant, il faudra bien mettre des responsabilités. Qui ne dit mot consent. Se taire, c’est aussi être responsable », poursuit de son coté Jean-Philippe Denis.
Les administrateurs ne se sont pas plus penchés sur les relations réelles avec Nissan, ou sur les structures de l’alliance, logée aux Pays-Bas. Tout cela relevait du domaine de compétence du seul Carlos Ghosn. Lui seul était chargé de Nissan. Poser des questions aurait déjà été vu comme un empiétement insupportable sur les prérogatives du PDG. L’ouverture des dossiers, désormais indispensable, pourrait réserver quelques surprises.
Le conseil ne s’est même pas inquiété de l’absence terrible d’une équipe dirigeante autour de Carlos Ghosn. Car, comme chez Nissan, le président de Renault a évincé au fil des années tous ceux qui pouvaient lui faire de l’ombre, à commencer par Patrice Pelata, sacrifié au moment de l’affaire du faux espionnage, ou Carlos Tavares, éliminé parce que trop encombrant, qui dirige maintenant le groupe PSA.
À chaque difficulté, Carlos Ghosn a pratiqué la stratégie du chantage pour obtenir l’impunité : il était incontournable. Il était le seul à connaître Nissan, les responsables japonais. Sans lui, toute l’alliance entre Renault-Nissan menaçait de s’écrouler.
Ce seul argument aurait dû alerter les administrateurs, à commencer par les représentants de l’État au conseil. Aucune entreprise, a fortiori de niveau mondial, ne peut reposer sur un seul homme. Il faut des équipes, des statuts, des règles, de la visibilité, de la transparence pour que tout cela fonctionne. Accepter le principe qu’un seul homme puisse détenir le pouvoir absolu, sans partage, sans cadre, c’est mettre en danger tout l’édifice. C’est en tout cas ne rien avoir compris à ce qu’est réellement une entreprise industrielle, c’est-à-dire une communauté de personnes qui fabriquent ensemble des produits. Mais cette définition est bien éloignée de l’appréhension d’administrateurs qui considèrent la direction dans l’entreprise comme un pouvoir absolu.
Quant aux représentants de l’État au conseil, cela fait longtemps qu’ils ne voient plus les participations dans les entreprises où l’État est actionnaire que comme des actifs financiers, à vendre ou à liquider, selon l’intérêt du moment. Ils ne sauraient avoir de stratégie industrielle, de vision à long terme. Sans se faire violence, tous ont intériorisé les critiques de Carlos Ghosn qui délégitimait par avance toutes leurs remarques.
À aucun moment l’État n’a donc posé la question des équipes, des structures, des règles existantes entre les deux constructeurs, afin d’assurer la pérennité de l’ensemble. Et quand il est intervenu, c’est de façon brouillonne et décousue. Ainsi, c’est sans prévenir ni Carlos Ghosn ni les responsables de Nissan qu’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, a décidé en 2016 un doublement des droits de vote pour les participations détenues par l’État dans les entreprises, donc chez Renault.
La manœuvre était d’abord comptable : il s’agissait de permettre la vente d’un certain nombre de titres détenus par l’État, tout en conservant l’affichage politique d’un maintien du contrôle par l’État. Mais elle a été vue comme une agression par Nissan. Chauffés à blanc par un Carlos Ghosn furieux de voir le gouvernement renforcer son emprise sur Renault alors que lui ne rêvait que de privatisation, les responsables de Nissan sont partis en campagne contre le gouvernement français. N’était-ce pas la preuve que l’alliance se faisait au détriment des intérêts japonais ?
La brouille s’est achevée par un piteux armistice. Le gouvernement français s’est engagé à ne rien dire sur la conduite de Nissan. En contrepartie, le constructeur japonais a pris 15 % du capital de Renault – autant que l’État français –, mais sans droit de vote. Des seuils de détention ont été fixés pour les deux parties qui, s’ils sont franchis à la hausse ou à la baisse, redonnent toute liberté à l’autre partie. « On risque de s’en apercevoir tardivement. Mais Emmanuel Macron a fait perdre à l’État le contrôle de Renault. C’est Nissan qui, un jour ou l’autre, va reprendre les clés », redoutait à l’époque un connaisseur du dossier. Il se pourrait que ces craintes émises à l’époque soient justifiées.
Que peut advenir de l’alliance Renault-Nissan ?
« La gouvernance de Renault a été impeccable », s’est félicité Thierry Breton. Au lendemain de l’arrestation de Carlos Ghosn, le conseil d’administration du constructeur s’est réuni dans la précipitation pour prendre des dispositions d’urgence. À l’inverse du conseil de Nissan, les administrateurs se sont refusés à démettre Carlos Ghosn de la présidence de Renault, « faute d’informations suffisantes ». Une direction provisoire a été installée : l’ancien directeur de la Caisse des dépôts, Philippe Lagayette, 75 ans, a été nommé président par intérim aux côtés de Thierry Bolloré, numéro deux du constructeur. Ils ont tous deux pour mission d’assurer la continuité, en attendant d’en savoir plus.
Ils se gardent bien de faire la moindre allusion à Nissan : « L’alliance est indispensable pour Renault », a tout de suite déclaré Thierry Bolloré, rappelant que cette coopération permet d’économiser 5 milliards d’euros, grâce à la centralisation des achats des deux constructeurs. En ces temps troublés pour l’industrie automobile, où tout est remis en cause – le rôle de la voiture, le bannissement du diesel, ses impacts et ses nuisances sur l’environnement –, le constructeur français a besoin de partager les coûts de recherche et développement, d’innovation, pour imaginer les véhicules de demain.
L’analyse est partagée par le ministre des finances. Au lendemain de l’arrestation de Carlos Ghosn, Bruno Le Maire a insisté sur l’attachement du gouvernement à l’alliance entre Renault et Nissan. « Nous avons convenu que nous voulions la poursuite et la consolidation de l’alliance », a insisté le ministre, après avoir reçu son homologue japonais, jeudi.
En coulisses, Nissan a déjà présenté ses revendications : le constructeur japonais veut poursuivre l’alliance mais à ses conditions. Il entend désormais que son poids réel soit reconnu, que la coopération soit rééquilibrée à son profit. Bref, sans l’afficher ouvertement, il veut prendre les rênes de tout et tout de suite. Selon une personne proche du dossier, Nissan, bien déterminé à profiter de sa position de force, exigerait que les nouvelles conditions soient fixées au plus vite. Le groupe a déjà annoncé qu’il projetait une assemblée générale le 20 décembre pour nommer un nouveau président.
Le gouvernement français a fait savoir qu’il était ouvert à des discussions mais qu’il n’était pas prêt à négocier dans l’urgence, sous la contrainte. Selon un proche du dossier, il n’est pas temps d’ouvrir des négociations sur la structure de l’alliance.
En attendant, Renault vogue totalement dans l’inconnu. Aujourd’hui, parce que tout était concentré dans les mains d’un seul homme, que le conseil d’administration n’a jamais fait son travail pour assurer la pérennité du groupe, le préserver des dérives de son dirigeant, l’entreprise est comme un canard sans tête. La reconfiguration inévitable de l’alliance risque de lui coûter cher. Sans qu’on y prenne garde, Renault pourrait même échapper au contrôle français. Mais, naturellement, personne n’est responsable.
Article paru sur le site de Mediapart, le 24 novembre 2018 par Martine Orange