Le 27 mai 2021, le CSE de Renault Guyancourt/Aubevoye était consulté sur la réorganisation de la DEA-L (Direction du Logiciel) en mode Agile. Les élus SUD ont souligné les dérives d’un travail en mode Agile visant à la réduction des coûts et des délais, et demandé un bilan avant d’aller plus loin.

Déclaration des élus SUD au Comité Social et Économique du 27/05/2021

Information/consultation sur le projet d’évolution d’organisation au sein de la DEA-L (Direction Ingénierie Alliance - Logiciel) dans le cadre de la Software Factory.

Un certain désenchantement gagne aujourd’hui les promoteurs et pratiquants de l’Agile : le journal Le Monde a publié le 18 février 2021 un article au titre évocateur : « La méthode agile, tant vantée en management, est la risée des jeunes sur Facebook ». Les plus de 100 000 membres d’un groupe Facebook créé en 2019, en majorité des jeunes, y témoignent de leur expérience difficile de l’Agilité et de la flexibilité dans le monde des entreprises. La génération Y, celle des « digital natives », dotée d’une forte capacité d’adaptation, ne serait donc pas aussi réceptive qu’espéré aux promesses de l’Agile.

Plus significatif encore, Ron Jeffries, l’un des 17 signataires du Manifeste Agile en 2001 exhorte en 2018 les développeurs à abandonner l’Agile. Selon lui, c’est la manière dont l’Agile est mis en œuvre qui pose problème : lorsque les concepts Agile sont mal appliqués, ils amènent le plus souvent à dégrader les conditions de travail des développeurs, avec une injonction à faire plus, plus vite.

Le 6 juillet 2020 a été présenté en CSE la création de la Software Factory. Il y a été annoncé l’objectif de mettre en place une organisation Agile à l’échelle. Le projet d’évolution présenté aujourd’hui vise notamment à homogénéiser les pratiques Agile et à finaliser le passage à l’échelle.

Avant de s’engager dans cette voie, et alerté par les critiques qui secouent la communauté Agile, il aurait été judicieux de faire un vrai bilan, complet et approfondi, de l’expérience vécue au cours de l’année écoulée.

Le bilan présenté, si mal nommé « retour d’expérience », fait en effet l’impasse sur des points importants :

• Un retour d’expérience insuffisant

Selon le 8ème principe du Manifeste Agile, les processus agiles encouragent un rythme de travail soutenable.

C’est la condition sine qua non pour pouvoir maintenir un rythme constant dans la durée. Et c’est un fondement de la philosophie Agile qui n’a pas dans l’esprit de ses concepteurs pour objectif de réduire les coûts et les délais de développement mais vise à maîtriser les dépenses et à livrer plus rapidement un produit de qualité (le Minimum Viable Product). La nuance est de taille !

Comment s’est traduit la mise en œuvre de l’Agile sur le temps de travail des salariés ? Quels sont les bienfaits perçus et les inconvénients vécus par ceux-ci ? Aucune réponse à ces questions dans le « RETEX » [1] présenté.

• Prendre en compte le confinement et les nouveaux modes de travail

Le second sujet est celui de la co-localisation des équipes et de l’impact du télétravail dans la pratique des activités Agile, y compris les cérémonials tels que les réunions quotidiennes ou les rétrospectives de sprint. Aucune information dans le dossier sur les enseignements à tirer de l’expérience de confinement et de télétravail vécue ces derniers mois, ni sur les nécessaires ajustements à apporter à la méthode dans le contexte futur d’une organisation hybride du travail.

• Travailler en mode Agile avec des sous-traitants et des fournisseurs

Le troisième sujet est celui des interactions avec les sous-traitants et les fournisseurs, point dur reconnu lors du passage d’une organisation en mode Agile à l’échelle. Comment sont-ils formés ou préparés au mode de travail Agile Renault ? Comment le turn over parfois élevé des prestataires est-il géré ?

• Gérer des salariés de sociétés différentes

Enfin, aucun bilan n’est présenté concernant les situations de management de salariés de contrats différents (pouvant concerner les salariés de filiales comme Sylpheo), situation dans lesquelles un salarié est confronté à deux managers, l’un opérationnel, l’autre légal.

• La nécessité d’un bilan avant d’aller plus loin

Lors de la présentation du programme FAST en séance CSE du 16 septembre 2019, les élu.e.s SUD ont exprimé leur crainte que le déploiement de l’approche Agile ne soit piloté que par l’atteinte des KPIs de réduction des coûts et des délais fixés par Thierry Bolloré, mal conseillé par les consultants omniprésents du Boston Consulting Group.

La mise en œuvre de pratiques agiles, sans la compréhension de la culture Agile et de ses valeurs, est contre-productive et source de risques psycho-sociaux.

Les élu.e.s SUD demandent qu’un bilan approfondi soit réalisé, avant toute généralisation de la méthode, de manière à s’assurer que le déploiement de l’Agile est conforme aux valeurs et principes de base exprimés dans le Manifeste.

Pour ces raisons, les élu.e.s SUD émettent un avis défavorable.